Alessandro Manzoni (Milan 1785 - Milan 1873) est connu pour son roman historiqueI promessi sposimais pendant sa longue vie il s’est beaucoup occupé du problème de la langue et a même travaillé sur un traité : Della lingua italiana Ses écrits sur la langue, recueillis dans ses papiers privés, ne furent publiés qu’un siècle après sa mort, en 1974.
Manzoni était le petit-fils de l’homme des Lumières Cesare Beccaria. Il avait vécu en France, où il avait fréquenté les milieux des Idéologues (Mme de Staël, Benjamin Constant) et était devenu ami du philosophe et philologue Claude Fauriel avec lequel il a maintenu une longue correspondance. Déjà dans sa première lettre à Fauriel (1806), il se plaint du fait que la paresse et l’ignorance des Italiens a créé une telle distance entre la langue parlée et la langue écrite que cette dernière semble une langue morte. Par contre il envie la France où le peuple est capable de comprendre Molière, car tout le monde parle la même langue. L’exemple de la France sera son modèle pour l’italien.
Cependant, Manzoni n’était pas un théoricien de la langue, mais un lettré et dans sa correspondance avec Fauriel (1821), il se plaint aussi du fait que l’Italie n’a jamais développé le genre du roman historique, ainsi qu’un moyen d’expression convenable pour l’écrire.
Ses idées sur la langue sont perceptibles dans les différentes rédactions de son œuvre la plus célèbre, I promessi sposi, dont Manzoni a écrit trois versions. Au début le roman devait s’appeler Fermo e Lucia (1821-1823), mais Manzoni est peu satisfait de la première rédaction, qu’il considère mal écrite à cause de l’absence d’une langue appropriée. En écrivant cette version, il se servait de la dernière édition du dictionnaire de l’Académie de la Crusca (la soi-disant Crusca Veronese, éditée par le puriste Antonio Cesari et publiée à Vérone en 1806-1811) : il était convaincu que la variété linguistique qui serait acceptée par tous les Italiens était le toscan, et aussi du rôle du lexique comme instrument pour modifier la langue, une idée qui a souvent caractérisé la pensée linguistique italienne.
Il a réécrit le roman dans les années suivantes et l'a publié avec le titre actuel en 1827 (cette édition est connue comme la Ventisettana) : il change ou élimine des sections et essaie de se servir d’une forme toscane homogène sur la base de la Crusca veronese et d’autres textes littéraires, mais aussi de type plus populaire. Le roman fut un succès, mais Manzoni n’était pas encore satisfait et se décida à faire un voyage en Toscane, en particulier à Florence. Il souhaitait trouver des informateurs qui pourraient lui enseigner le florentin contemporain, donc la langue de l’usage, et non pas celle de la tradition littéraire. C’est lors de ce voyage qu’il dit avoir "sciacquato i panni nell’Arno" : l’Arno, le fleuve qui traverse Florence, représente la langue italienne où Manzoni aurait trempé ses habits pour qu’ils en soient imprégnés. Il a alors encore revu son roman et a publié une dernière édition en 1840, connue comme la Quarantana, où il applique les résultats de son voyage à Florence.
Manzoni a donc beaucoup réfléchi sur la « questione della lingua ». Dans l’œuvre Della lingua italiana, il critique les idées du puriste Antonio Cesari, qui proposait un retour à des modèles archaïques, mais aussi des classicistes qui invoquaient la responsabilité des écrivains pour créer un modèle éloigné de l’usage. Pour lui la nature de la langue était importante, la langue devait être convenable et capable de se plier aux exigences de la société de chaque époque. Il n’était pas influencé par les études de linguistique du XIXe siècle et refusait la notion de modèles, de règles et de lois. Tout cela n’avait pas d’importance car l’origine de la langue était divine.
Ce sont ces idées qui inspirent son rapport de 1868 pour la Commission Broglio : Dell’unità della lingua e dei mezzi di diffonderla dont nous reproduisons un extrait ici. Ce rapport, qui porte les signatures des trois membres de la sous-commission, a été écrit par Manzoni ; les deux autres membres se sont limités à illustrer les moyens de diffusion du florentin dans les écoles.
Comme nous l’avons vu, les conclusions de la sous-commission sur la langue, coordonnée par le pédagogue Raffaello Lambruschini et basée à Florence, n’étaient pas les mêmes que celles de Manzoni et représentent un retour au passé, à la « bonne langue » et non pas à la « langue vivante ». Manzoni a démissionné de la commission et est mort quelques années plus tard. Cependant, le ministre Emilio Broglio, qui avait formé la commission, était convaincu que l’idée de Manzoni de produire un nouveau dictionnaire était valable. Le Novo vocabolario della lingua italiana secondo l’uso di Firenze a été publié entre 1870-1897, par Broglio et Giovanni Battista Giorgini, gendre de Manzoni. La forme novo au lieu de nuovo était justement la forme employée dans la langue parlée à Florence. Il s’agit d’un nouveau type du dictionnaire, complètement synchronique, sans exemples d’auteurs célèbres, mais pris justement de l’usage florentin contemporain. Ce dictionnaire devait ensuite servir de modèle pour d’autres semblables.
Alessandro Manzoni
Dell’Unità della lingua e dei mezzi per diffonderla