Corrêspondencia de Fradique Mendes

Le nationalisme linguistique au Portugal

Le texte ci-dessous est un extrait de la "Correspondência de Fradique Mendes", écrit par Eça de Queirós et publié en 1900. Eça de Queirós est considéré comme l’un des principaux écrivains portugais d’inspiration naturaliste et a souvent été comparé pour ses écrits à Zola et à Flaubert. La Correspondencia est composée de deux livres qui s‘articulent autour de la présentation d’un personnage fictif, Fradique Mendes (premier livre), puis de ses lettres (second livre). En plus de sa carrière d’homme de lettres, Eça de Queirós a aussi connu une carrière de diplomate. Suite à des nominations successives, il a exercé ses fonctions diplomatiques dans plusieurs pays parmi lesquels figurent la France, l’Angleterre ou bien encore Cuba lorsque l’île était encore espagnole. Il est intéressant de mentionner le contexte de crise et de décomposition coloniale portugaise qui entoure la parution de la Correspondência car l’Angleterre impose en 1890 au Portugal un ultimatum qui rime avec la fin de ses aspirations d’un vaste empire colonial africain qui devait s’étendre de la côte angolaise à la mozambicaine. Cet évènement est vécu comme un choc sur le vieux continent. Pour ce qui est de l’extrait analysé ici, il s’agit d’une des lettres contenues dans le livre second, lettre dans laquelle Fradique Mendes répond à Madame S. qui lui a demandé son point de vue concernant l’acquisition d’une phonétique de l’espagnol parfaite dans un contexte où l’espagnol n’est pas la langue maternelle.

Eça de Queirós en 1882, Photographia Contemporanea  O Contemporâneo, nº 108, Lisboa [1882], p. [1]. BNP
Eça de Queirós en 1882, Photographia Contemporanea 

O Contemporâneo, nº 108, Lisboa [1882], p. [1].

BNP

Tout d’abord, il ressort de ce qui vient d’être dit qu’il est question d’apprentissage d’une langue en milieu exolingue. Questionné sur la manière d'améliorer la phonétique d’une langue qui n’est pas la langue habituellement parlée sur les lieux, Fradique prend la défense de la suffisance d’une connaissance de la seule langue écrite.

De plus, Fradique Mendes est convaincu du fait que le désir d’acquisition d’une phonétique native dans une langue étrangère n’est que perte d’un temps qui pourrait être destiné à d’autres fins. On notera en passant que si une liste d’auteurs et d’œuvres faisant partie du canon littéraire espagnol figure bien dans le texte (Quevedo, Lope de Vega, Galdós), l’accent "de référence" choisi ici est celui de Madrid et, qui plus est, de la "Calle Mayor" de Madrid et non pas celui de Tolède ou de Saragosse. On peut en déduire que, bien que certains écrivains mentionnés ci-dessus ne soient pas madrilènes de naissance, l’espagnol de Madrid est considéré ici comme le standard, probablement parce qu’il s’agit de la capitale. Or, si une variété espagnole est considérée comme standard et l’était lors des siècles précédents, ce n’est en aucun cas celle de Madrid, mais celle d’une aire géographique autour de Salamanque, Valladolid et Burgos (Pharies 2015), située au nord-ouest de la capitale.

Ensuite, Fradique Mendes dresse une diatribe à l’encontre du plurilinguisme à l'occasion d'une réponse à une femme qui lui avait demandé conseil sur le perfectionnement de l’accent espagnol parlé par son fils. Dans son allocution, Fradique Mendes s’attache à lier en autant de points que possible langue et appartenance et fidélité à la nation. D’après lui, au-delà du fait que le polyglotte ne soit pas patriote, il faut négliger sciemment un apprentissage d’une langue qui ne devrait atteindre en aucun cas la perfection. "Um homem só deve falar, com impecável segurança e pureza, a língua da sua terra: todas as outras as deve falar mal, orgulhosamente mal, com aquele acento chato e falso que denuncia logo o estrangeiro"(De Queirós 1900). En effet, le vrai patriote est monolingue et ce dernier doit déjà faire face au risque que sa langue européenne, autrefois "parfaite", encourt sous la pression des emprunts. Il convient d’ailleurs de se demander si Fradique est le convoyeur des idées de Queirós. Rappelons-le, l’écrivain fut également diplomate affecté dans plusieurs pays en tant que consul du Portugal. Qui plus est, il a mené à bien ses fonctions à la fin du XIXe siècle, moment où le Portugal a déjà perdu le Brésil et où il se voit imposer un ultimatum stoppant son rêve d’expansion au sud du continent africain.

Enfin, la réflexion de Fradique Mendes concernant le plurilinguisme et son aversion à ce sujet ne se contente pas de préconiser des comportements visant à éviter un apprentissage trop poussé de la langue pour aspirer au statut de bon patriote car il en va aussi de toute une série d’éléments qui dépassent la langue en elle-même mais que cette dernière véhicule. La langue c’est également la nation et la charge affective qui y est attachée. Tenter de s’exprimer dans une langue étrangère à la perfection équivaut à s’accaparer des valeurs et des sentiments d’une autre nation. Fradique Mendes voit dans la quête du cosmopolitisme verbal un cosmopolitisme du caractère qui fait du polyglotte un être antipatriote. En d’autres termes, l’on se rapproche ici de la doctrine de Wilhelm von Humboldt sur la langue et le fait que celle-ci véhicule ce qu’il y a de singulier à une nation. Carlos Reis (2010) voit dans ce texte un certain isolationnisme. Or, contrairement à l’Espagne, qui connaît le plurilinguisme quoiqu’en dehors du cadre de la loi au XIXe siècle, ou à la France qui n’a pas toujours été unilingue, le Portugal offre une situation particulière qui s’explique sûrement de par son histoire et les circonstances de la reconquête des terres méridionales aux mains des musulmans ainsi qu’à son indépendance. En effet, on peut penser que le Portugal est unilingue de facto, ce qui, bien entendu, n'élimine pas d’éventuelles situations de diglossie dans le pays entre telle variété diatopique et telle autre. Ceci dit, il va de soi que la constitution d’un immense empire colonial sur plusieurs continents qui a duré plus de trois siècles a eu, entre autres conséquences, un impact sur la langue portugaise parlée en Europe.

Pour conclure, le texte d’Eça de Queirós proposé ici présente des éléments susceptibles d’être analysés sous plusieurs perspectives outre la perspective sociolinguistique. Par exemple, ce texte présente un réel intérêt pour la didactique des langues étrangères et l’intérêt porté au plurilinguisme et à sa promotion ou, le cas échéant, à son rejet au sein d’une société donnée. Il est évident dans ce texte que l’on est en présence d’un positionnement peu enclin au plurilinguisme et empreint d’une hostilité ou d’une méfiance vis-à-vis d’un pays autre que le nôtre et donc de sa langue ainsi que de ce que cette dernière véhicule au-delà de la communication. L’opposition au perfectionnement de la phonétique des langues étrangères comme acte volontaire d’amour voué à sa patrie que propose Fradique Mendes peut surprendre dans l’actualité mais, comme nous l’avons évoqué, il ne faudrait en aucun cas ignorer le contexte sociopolitique et historique dans ce type d’analyse. Le Portugal de l’année 1900, bien que monolingue, a vu ses aspirations expansionnistes d’antan stoppées par la volonté de puissances qui l’ont relégué à un second rang en termes d’influence sur la scène internationale. L’ancien empire ne peut que se replier sur la métropole, c’est-à-dire sur un royaume de la péninsule ibérique qui traverse une grande instabilité politique. Parallèlement à cela, la méfiance et l’hostilité manifestées contre la maîtrise d’autres langues et, par extension, contre l’interculturalité doivent être observées avec un net recul et en élargissant notre perspective car, outre le Portugal, le premier quart du XXe siècle suppose la montée de nationalismes et de nombreux antagonismes entre de nombreux pays qui laisse présager le conflit militaire qui éclate en 1914.

À Madame S.

Paris, fevereiro.

Minha cara amiga.

O hespanhol chama-se D. Ramon Covarubia, mora na Passage Saulnier, 12, e como é aragonez, e portanto sobrio, creio que com dez francos por lição se contentará amplamente. Mas se seu filho já sabe o castelhano necessario para entender os Romanceros, o D. Quichote, alguns dos «Piccarescos», vinte paginas de Quevedo, duas comedias de Lope de Vega, um ou outro romance de Galdós, que é tudo quanto basta lêr na litteratura de Hespanha,―para que deseja a minha sensata amiga que elle pronuncie esse castelhano que sabe com o accento, o sabor, e o sal d'um madrileno nascido nas veras pedras da Calle-Mayor? Vai assim o dôce Raul desperdiçar o tempo que a Sociedade lhe marcou para adquirir idéas e noções (e a Sociedade a um rapaz da sua fortuna, do seu nome e da sua belleza, apenas concede, para esse abastecimento intellectual, sete annos, dos onze aos dezoito)―em quê? No luxo de apurar até a um requinte superfino, e superfluo, o mero instrumento de adquirir noções e idéas. Porque as linguas, minha boa amiga, são apenas instrumentos do saber―como instrumentos de lavoura. Consumir energia e vida na aprendizagem de as pronunciar tão genuina e puramente que pareça que se nasceu dentro de cada uma d'ellas, e que por meio de cada uma se pediu o primeiro pão e agua da vida―é fazer como o lavrador, que em vez de se contentar, para cavar a terra, com um ferro simples encabado n'um pau simples, se applicasse, durante os mezes em que a horta tem de ser trabalhada, a embutir emblemas no ferro e esculpir flôres e folhagens ao comprido do pau. Com um hortelão assim, tão miudamente occupado em alindar e requintar a enxada, como estariam agora, minha senhora, os seus pomares Touraine?

Um homem só deve fallar, com impeccavel segurança e pureza, a lingua da sua terra:―todas as outras as deve fallar mal, orgulhosamente mal, com aquelle accento chato e falso que denuncía logo o estrangeiro. Na lingua verdadeiramente reside a nacionalidade;―e quem fôr possuindo com crescente perfeição os idiomas da Europa vai gradualmente soffrendo uma desnacionalisação. Não ha já para elle o especial e exclusivo encanto da falla materna com as suas influencias affectivas, que o envolvem, o isolam das outras raças; e o cosmopolitismo do Verbo irremediavelmente lhe dá o cosmopolitismo do caracter. Por isso o polyglota nunca é patriota. Com cada idioma alheio que assimila, introduzem-se-lhe no organismo moral modos alheios de pensar, modos alheios de sentir. O seu patriotismo desapparece, diluido em estrangeirismo. Rue de Rivoli, Calle d'Alcalá, Regent Street, Wilhem Strasse―que lhe importa? Todas são ruas, de pedra ou de macadam. Em todas a falla ambiente lhe offerece um elemento natural e congenere onde o seu espirito se move livremente, espontaneamente, sem hesitações, sem attritos. E como pelo Verbo, que é o instrumento essencial da fusão humana, se póde fundir com todas―em todas sente e aceita uma Patria.

Por outro lado, o esforço contínuo de um homem para se exprimir, com genuina e exacta propriedade de construcção e de accento, em idiomas estranhos―isto é, o esforço para se confundir com gentes estranhas no que ellas têm de essencialmente caracteristico, o Verbo―apaga n'elle toda a individualidade nativa. Ao fim de annos esse habilidoso, que chegou a fallar absolutamente bem outras linguas além da sua, perdeu toda a originalidade de espirito―porque as suas idéas forçosamente devem ter a natureza incaracteristica e neutra que lhes permitta serem indifferentemente adaptadas ás linguas mais oppostas em caracter e genio. Devem, de facto, ser como aquelles "corpos de pobre" de que tão tristemente falla o povo―"que cabem bem na roupa de toda a gente".

Além d'isso, o proposito de pronunciar com perfeição linguas estrangeiras constitue uma lamentavel sabujice para com o estrangeiro. Ha ahi, diante d'elle, como o desejo servil de não sermos nós mesmos, de nos fundirmos n'elle, no que elle tem de mais seu, de mais proprio, o Vocabulo. Ora isto é uma abdicação de dignidade nacional. Não, minha senhora! Fallemos nobremente mal, patrioticamente mal, as linguas dos outros! Mesmo porque aos estrangeiros o polyglota só inspira desconfiança, como sêr que não tem raizes, nem lar estavel―sêr que rola através das nacionalidades alheias, successivamente se disfarça n'ellas, e tenta uma installação de vida em todas porque não é tolerado por nenhuma. Com effeito, se a minha amiga percorrer a Gazeta dos Tribunaes verá que o perfeito polyglotismo é um instrumento da alta escroquerie.

E aqui está como, levado pelo dilettantismo das idéas, em vez d'um endereço eu lhe forneço um tratado!... Que a minha garrulice ao menos a faça sorrir, pensar, e poupar ao nosso Raul o trabalho medonho de pronunciar Viva la Gracia! e Benditos sean tus ojos! exactissimamente como se vivesse a uma esquina da Puerta del Sol, com uma capa de bandas de velludo, chupando o cigarro de Lazarillo. Isto todavia não impede que se utilisem os serviços de D. Ramon. Elle, além de Zorrillista, é guitarrista; e póde substituir as lições na lingua de Quevedo por lições na guitarra de Almaviva. O seu lindo Raul ganhará ainda assim uma nova faculdade de exprimir―a faculdade de exprimir emoções por meio de cordas de arame. E este dom é excellente! Convem mais na mocidade, e mesmo na velhice, saber, por meio das quatro cordas d'uma viola, desafogar a alma das coisas confusas e sem nome que n'ella tumultuam, do que poder, através das estalagens do mundo, reclamar com perfeição o pão e o queijo―em sueco, hollandez, grego, bulgaro e polaco.

E será realmente indispensavel mesmo para prover, através do mundo, estas necessidades vitaes d'estomago e alma―o trilhar, durante annos, pela mão dura dos mestres, "os descampados e atoleiros das grammaticas e pronuncias", como dizia o velho Milton? Eu tive uma admiravel tia que fallava unicamente o portuguez (ou antes o minhoto) e que percorreu toda a Europa com desafôgo e conforto. Esta senhora, risonha mas dyspeptica, comia simplesmente ovos―que só conhecia e só comprehendia sob o seu nome nacional vernaculo de ovos. Para ella huevos, oeufs, eggs, das ei, eram sons da Natureza bruta, pouco differençaveis do coaxar das rãs, ou d'um estalar de madeira. Pois quando em Londres, em Berlim, em Paris, em Moscow, desejava os seus ovos―esta expedita senhora reclamava o famulo do Hotel, cravava n'elle os olhos agudos e bem explicados, agachava-se gravemente sobre o tapete, imitava com o rebolar lento das saias tufadas uma gallinha no chôco, e gritava ki-ki-ri-ki! kó-kó-ri-ki! kó-ró-kó-kó! Nunca, em cidade ou região intelligente do Universo, minha tia deixou de comer os seus ovos―e superiormente frescos!

Beijo as suas mãos, benevola amiga

Fradique.

De Queiroz E. (1900), Corrêspondencia de Fradique Mendes. Porto;Livraria Chardron. (traduction : La correspondance de Fradique Mendes, de José Maria Eça de Queiroz, Traduit par Marie-Hélène Piwnik, Paris, La Différence, 2014)