Maccheroni alla napoletana

Un manuel de cuisine au service de la Nation

Au moment de l’unification de l’Italie, on s’est encore posé la question de comment adapter une langue, essentiellement littéraire, à toute une série de fonctions pratiques. Il fallait créer un lexique technique convenable pour les différents arts et métiers. De ce fait, durant la deuxième moitié du XIXe siècle sont publiés plusieurs dictionnaires spécialisés : pour l’agriculture (Canevazzi 1871-92), la marine et l’armée (Guglielmotti 1889) ; l’histoire et l’administration (Rezasco 1881) ; l’économie politique et le commerce (Boccardo 1857-61). C’est dans ce contexte que l’on peut placer un autre livre qui a connu un énorme succès, le livre de cuisine publié à Florence en 1891 par Pellegrino Artusi, La scienza in cucina e l’arte di mangiare bene. Manuale pratico per le famiglie. Ce livre a non seulement "fait" le lexique gastronomique, mais aussi la gastronomie italienne.

La Scienza in cucina e l’Arte del mangiar bene. Manuale pratico per le famiglie
La Scienza in cucina e l’Arte del mangiar bene.

Manuale pratico per le famiglie

L’Italie est renommée aujourd’hui dans le monde entier pour sa cuisine, mais les choses n’ont pas toujours été ainsi. Dans un pays tellement divisé pendant tant de siècles, la cuisine italienne était (et reste encore) assez régionalisée. De plus, les livres de recettes du passé, de la Renaissance par exemple, présentaient la haute cuisine des villes et des cours nobiliaires, car, dans les villages de campagne, on mourait de faim. En effet, l’idée qu’on se fait à présent de la gastronomie italienne dépend justement en partie de l’émigration de masse des campagnes vers le nouveau monde à partir du XIXe siècle, quand les paysans, qui pouvaient finalement manger correctement, ont créé une synthèse de la cuisine des différentes régions dont ils venaient. En Italie, par contre, l’unification du pays en 1861 crée une classe bourgeoise qui avait les moyens pour bien manger ; c’est à cette classe, aux familles bourgeoises, qu’est adressé le livre d’Artusi.

Pellegrino Artusi (Forlimpopoli 1820 – Florence 1911) n’était pas toscan, mais de la région de la Romagna. Sa famille s’était installée à Florence en 1851, où Pellegrino s’était dédié au commerce jusqu’en 1870, quand il prit sa retraite et commença à écrire des livres sans beaucoup de succès. Comme il avait beaucoup voyagé en Italie pour ses affaires, il eut l’idée de réunir dans un livre les recettes de cuisine de toutes les régions du pays. Recueillies pendant ses voyages ou fournies par des habitants des diverses régions, Artusi les testait avec ses deux domestiques avant de les proposer. Cela dit, la base de son ouvrage sont les recettes de l’Emilia-Romagna, sa région d’origine, afin qu’elles entrent dans l’identité nationale. En fait les recettes n’arrivent qu’à Naples et on aperçoit un peu de défiance envers la cuisine du sud dans la recette que nous proposons à la lecture (non persuadendomi troppo quel guazzabuglio di condimenti ; come usano i Napoletani).

D’une certaine façon, ce livre s'oppose à la domination française en Italie : domination politique, mais aussi gastronomique, car, avant son manuel, les livres de cuisine s’inspiraient de la gastronomie française et se servaient de termes français plus ou moins italianisés : antremè, escaloppe, besciamella, ragù, gattò. Artusi a su renouveler ce lexique et la description des recettes d’une façon qui semble moderne encore aujourd’hui, se servant d’une langue qu’on pourrait appeler un « toscan moyen », une langue de communication courante, tout comme Pinocchio ou bien Cuore.

Dans ce passage, nous pouvons indiquer des formes toscanes comme guazzabuglio, lucertolo, le diminutif battutino, suivi après par battuto, qui est le terme dont on se sert encore dans les recettes de cuisine. D’autres expressions restent encore dans la langue culinaire : steccatelo, ponetela al fuoco, condite con sale e pepe, fate bollire a fuoco lento. Artusi se sert de la même construction avec le participe passé qu’on a vu dans le passage de Pinocchio : Accomodata la carne in questa maniera, e legata collo spago, Rosolata che sia la carne e consumato il battuto ; notons aussi la forme plus littéraire avec apocope, riescon (pour riescono). Enfin, l’emploi du mot maccheroni suit l’usage moderne, qui est celui employé en napolitain pour des pâtes sèches, courtes, rondes et trouées. Dans d’autres régions d’Italie, le mot indiquait d’autres types de pâtes, mais c’est l’usage napolitain qui s’est imposé dans le lexique et la conscience collective.

Maccheroni alla napoletana

Ve li garantisco genuini e provati colla scorta di una ricetta che mi sono procurato da una famiglia di Santa Maria Capua Vetere; vi dirò anche di essere stato lungo tempo incerto avanti di metterla in esecuzione non persuadendomi troppo quel guazzabuglio di condimenti. A dir vero questi maccheroni non riescon cattivi, anzi possono incontrare il gusto di chi non è esclusivista del semplice.

Prendete un pezzo di carne del lucertolo e steccatelo con fettine di prosciutto grasso e magro, zibibbo, pinoli e con un battutino di lardone, aglio, prezzemolo, sale e pepe. Accomodata la carne in questa maniera, e legata collo spago per tenerla più unita, ponetela al fuoco con un battuto di lardone e cipolla finemente tritata: rivoltatela spesso e bucatela a quando a quando col lardatoio. Rosolata che sia la carne e consumato il battuto, aggiungetevi tre o quattro pezzi di pomodoro sbucciati e quando questi siano distrutti, unitevi, a poco per volta, del sugo di pomodoro passato. Aspettate che questo siasi alquanto ristretto, poi versate tanta acqua che copra il pezzo, condite con sale e pepe e fate bollire a fuoco lento. In mancanza di pomodori freschi servitevi di conserva. Col sugo e con formaggio piccante, come usano i Napoletani, si condiscono i maccheroni, e la carne serve di companatico.

Quanto ai maccheroni, insegnano di farli bollire in un recipiente largo, con molt’acqua, e di non cuocerli troppo.

Pellegrino Artusi

La Scienza in cucina e l’Arte del mangiar bene. Manuale pratico per le famiglie