Quelles langues romanes ?

Les langues romanes appartiennent à la grande famille indoeuropéenne qui s’étend, comme son nom l’indique, de l’Inde jusqu’en Europe occidentale. On peut voir dans le tableau ci-dessous que la plupart des langues du Continent européen se rattachent à cette famille, dont les origines remonteraient à plusieurs millénaires avant notre ère. Le latin est l’une des langues de la branche italique dans laquelle on trouve aussi l’osque, l’ombrien, le vénète, le messapien, le rhétique… langues disparues depuis très longtemps (en partie absorbées par le latin sans presque avoir laissé de traces) :

Langues indoeuropéennes
Langues indoeuropéennes
Le Petit prince en aragonais
Le Petit prince en aragonais

Les premières descriptions rigoureuses des langues romanes en tant que famille linguistique issue du latin datent du XIXe siècle. Mais au regard des études menées et des langues citées par les différents auteurs, on s’aperçoit que le nombre de "langues" qui la composent semble augmenter avec le temps. Voici un petit aperçu :

- August Wilhelm von Schlegel considère que "dans l’Europe latine quatre langues sont aujourd’hui littérairement cultivées : l’italien, l’espagnol, le portugais et le françois ; une cinquième, le provençal, l’a été jadis" (Observations sur la langue et la littérature provençales, Paris, Librairie grecque-latine-allemande, 1918 : 51)

- Friedrich Diez (Grammatik der romanischen Sprachen, 1836-1842) prend en compte six langues (littéraires) : l’italien, le valaque, le portugais, l’espagnol, le provençal et le français.

Signalisation bilingue à Miranda do Douro (Portugal)
Signalisation bilingue à Miranda do Douro (Portugal)

- G. Gröber dans l’ouvrage collectif Grundriß der romanischen Philologie qu’il dirige, publié en 1888, décrit huit langues romanes : le français, l’espagnol, le portugais, le catalan, le provençal, l’italien, le rhéto-roman et le roumain.  

- Meyer-Lübke intègre dix langues romanes dans Romanisches Etymologisches Wörterbuch publié en 1920 : le portugais, l’espagnol, le français, l’italien, le provençal, le roumain, mais aussi le catalan, le rhéto-roman, le sarde et le dalmate.

- C. Tagliavini prend en compte et décrit onze langues (Le Origini delle lingue neolatine, 1949 – 1982) : l’italien, l’espagnol, le portugais, le français, l’occitan, le roumain, le sarde, le romanche, le catalan, le dalmate, le franco-provençal.

- P. Bec considère qu'il existe douze langues romanes dans les deux volumes de son Manuel pratique de philologie romane (1970-1971) : l’italien, l’espagnol, le portugais, l’occitan, le catalan, le gascon, le français, le roumain, le sarde, le rhéto-frioulan, le francoprovençal, le dalmate.

- Finalement, seize langues romanes sont déjà entrées dans les 8 tomes du Lexikon der Romanistischen Linguistik édités par Holtus G., Metzeltin M., Schmitt C. depuis 1988 : l’italien, l’espagnol, le portugais, le français, l’occitan, le roumain, le sarde, le romanche, le catalan, le dalmate, le frioulan, le ladin, le galicien, l’aragonais/navarrais, l’asturien/léonais, le corse.

Pour l'officialisation de la langue asturienne...
Pour l'officialisation de la langue asturienne...

Si on observe la dynamique de ces classifications, on peut observer plusieurs "catégories" :

  • Les langues par unanimité… qui sont toujours prises en compte. Il s’agit bien de celles parlées dans des États anciens de l’Europe et qui possèdent une tradition littéraire reconnue et ininterrompue jusqu’à aujourd’hui : l’italien, le portugais, l’espagnol, et le français.
  • Deux autres langues "font l’unanimité" mais sont nommées selon différents glossonymes : le roumain, qui est absent chez Schlegel et appelé valaque par Diez en 1836 : il ne faut pas oublier que l’histoire de la Roumanie, en tant qu'État moderne, ne commence réellement qu'avec la création des Principautés unies de Moldavie et de Valachie en 1859. Il pourrait paraître plus surprenant que le provençal/occitan se glisse au milieu de ces langues "par unanimité" d’abord sous le nom de provençal, puis d’occitan (à noter que Bec, prenant acte de la spécificité de cette variété d’occitan, cite aussi le gascon). L’occitan (nommé presque toujours provençal par les romanistes jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle) était déjà au cœur des études sur les langues romanes au XIXe siècle, lorsque François Raynouard (1761-1836) expose sa théorie de l’existence d’une "langue romane intermédiaire" entre le latin et les langues romanes modernes et l’identifie avec l’ancien provençal, la langue des Troubadours. Bien entendu sa théorie fut rapidement contredite par d’autres linguistes. Friedrich Diez, que l’on considère le père de la romanistique, avait commencé ses travaux en s’intéressant à l’ancienne lyrique provençale ([qtip:Werk Leben und der Troubadour|Vie et œuvres des Troubadours], 1829) : le prestige des troubadours a sans doute contribué à la visibilité de cette langue parmi la communauté scientifique, tout comme la figure de Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904.
    Plaque de rue bilingue à Alguero, Sardaigne
    Plaque de rue bilingue à Alguero,
    Sardaigne

     

  • Un dernier groupe serait celui des langues qui ont dû faire leurs preuves avant d'entrer dans le cercle des "langues romanes". Certaines d’entre elles sont citées assez tôt. C’est le cas du catalan, propulsé par le mouvement de la Renaixença du XIXe siècle, ou encore le rhéto-roman, formé par le ladin, le frioulan et le romanche, qui est présenté comme étant une langue unifiée par le dialectologue italien Graziano Ascoli (1827-1907), à qui on doit aussi le nom de rhéto-roman (formé à partir du nom de la région concernée à l’époque de l’Empire romain). D’autres linguistes citent le rhéto-friolan ou séparent les trois variétés qui le composent. On doit également à Ascoli le nom de francoprovençal et la considération en tant que langue unifiée des variétés qui le composent (cette langue n’a pas encore fait l’objet d’étude dans le Lexikon der Romanistischen Linguistik). Le dalmate, langue disparue au début du XXe siècle, fait son entrée dans la liste au moment de sa disparition, notamment à partir de la publication de l’ouvrage Das Dalmatische par le romaniste Bartoli en 1906. On reconnaît à la même époque la spécificité du sarde, né d’une variété du latin diffusée sur l’île de Sardaigne et isolée du reste de la Romania. Le galicien considéré longtemps comme un dialecte du portugais acquiert la catégorie de langue dans les années 80 du XXe siècle. Plus tard intègrent cette liste d’autres langues qui font encore aujourd’hui l'objet de discussions : aragonais/navarrais, asturien/léonais et corse.

Pour reprendre les mots de Z. Muljacic (2004 : 307) une dernière phase, qui suit le "printemps des peuples" dans les années 70, n’est pas terminée et le nombre de langues pourrait augmenter : cf. les variétés de l’espace d'oïl, par exemple (picard, wallon, normand…) ou encore les "dialectes italiens".

Liste des langues romanes :

asturien (astur-léonnais, léonnais), mirandais

aragonais

castillan (espagnol)

catalan, valencien

dalmate

français

francoprovençal

galicien

italien, sicilien, milanais, toscan

mozarabe

occitan, provençal, gascon, languedocien, limousin

portugais

roumain, moldave

sarde

rhéto-roman, ladin, romanche, frioulan.