Les premiers témoignages du roumain

Les débuts de la langue roumaine écrite

L'évolution de la langue roumaine est très différente de celle des autres langues romanes. Comme l'italie la Roumanie n'existe pas encore à cette époque et de plus l'émancipation de la langue roumaine n'est pas encore d'actualité : tandis que la masse du peuple parle, les variétés roumaines, les deux centres du pouvoir, l’État et l’Église, se trouvent sous l’influence de trois cultures en concurrence : la culture slave (slavon, langue de l’Église orthodoxe), celle du latin (langue de l’Église d’Occident) et celle du grec (langue de l’Empire de Byzance) . 

Lettre de Neacșu de Câmpulung
Lettre de Neacșu de Câmpulung

Les attestations voire les mentions de la langue roumaine avant le XVIe siècle sont très rares. Ainsi, deux chroniqueurs bizantins, Teofan Marturisitorul (VIIIe–IXe siècles) et Symocatta Teofilact (VIIe siècle) enregistrent les mots (re) (torna), torna fratre, considérés comme roumains lorsqu’ils racontent le célèbre épisode de l’expédition militaire contre les Avars au cours de l’année 587. Mais ces témoignages de l’ancien roumain sont rares. Contrairement aux autres langues romanes, les premiers textes en roman parlé dans les territoires roumains sont tardifs. Probablement parce que d’autres langues étaient utilisées dans les provinces roumaines : latin, grec, langues slaves, hongrois. Le plus ancien texte conservé en roumain date de 1521.

Il s’agit de la lettre de Campulung Neacșu, écrite avec l’alphabet cyrillique et adressée au maire de Brasov, Johannes Benkner. Neacșu avertit Benkner de l'invasion ottomane de la Transylvanie qui se prépare au sud du Danube. L'introduction est écrite en slave ("Au plus sage et vénérable, et envesti par Dieu maître Benkner de Brazov, meilleurs voeux de Neacșu de Câmpulung"). La suite est écrite en roumain ancien (le contenu de la lettre pourrait être compris aujourd’hui par un locuteur cultivé) mais on y trouve des expressions slaves comme "i pak" (qui équivat au latin "idem") qui sert à introduire une nouvelle phrase ou encore "za" ("à propos de"). La lettre se termine par une autre phrase en slave : "Que Dieu t'apporte la joie. Amen".

Voici la lettre :

„Mudromu I plemenitomu, I cistitomu I bogom darovanomu jupan Hanăş Bengner ot Braşov mnogo zdravie ot Nécşu ot Dlăgopole. (= Preaînţeleptului şi cinstitului, şi de Dumnezeu dăruitului jupân Hanăş Bengner din Braşov multă sănătate din partea lui Neacşu din Câmpulung, n. n.).
I pak (=şi iarăşi) dau ştire domnie tale za (=despre) lucrul turcilor, cum am auzit eu că împăratul au eşit den Sofiia, şi aimintrea nu e, şi se-au dus în sus pre Dunăre.
I pak să ştii domniia ta că au venit un om de la Nicopole de miie me-au spus că au văzut cu ochii lor că au trecut ciale corăbii ce ştii şi domniia ta pre Dunăre în sus.
I pak să ştii că bagă den toate oraşele câte 50 de omin să fie de ajutor în corăbii.
I pak să ştii cumu se-au prins neşte meşter(i) den Ţarigrad cum vor treace ceale corăbii la locul cela strimtul ce ştii şi domniia ta.
I pak spui domniie tale de lucrul lui Mahamet beg, cum am auzit de boiari ce sunt megiiaş(i) şi de generemiiu Negre, cum i-au dat împăratul sloboziie lui Mahamet beg, pe io-i va fi voia, pren Ţeara Rumânească, iară el să treacă.
I pak să ştii domniia ta că are frică mare şi Băsărab de acel lotru de Mahamet beg, mai vârtos de domniile voastre.
I pak spui domniietale ca mai marele miu, de ce am înţeles şi eu. Eu spui domniietale iară domniiata eşti înţelept şi aceste cuvinte să ţii domniiata la tine, să nu ştie umin mulţi, şi domniile vostre să vă păziţi cum ştiţi mai bine.
I bog te veselit. Amin.”(=Şi Dumnezeu să te bucure. Amin)

(Apud Hurmuzachi – Iorga. Documente, XI, 84)

 

 

D'autres manuscrits à caractère religieux sont également conservés  qui proposent des traductions du vieux slave, comme le Codex de Voronet.

Coresi 1563. Les actes des apôtres
Coresi 1563. Les actes des apôtres

Les premiers textes imprimés en roumain sont presque tous à caractère liturgique. Ainsi, à partir de 1561, le diacre Coresi imprime les premiers livres en roumain à Brasov (environ 35 ouvrages). Compte tenu de la nature religieuse (orthodoxe) de ces livres, la langue utilisée (pré-standardisée) dans ces imprimés s’est répandue dans tous les territoires roumains. On considère ainsi que ses livres fondent la langue littéraire et donc la langue roumaine standard. L’image de gauche montre un livre publié par Coresi en 1563 (Les actes des Apôtres).

 

 

 

 

 

 

 

Pour écouter la Lettre de Neacsu de Campulung reproduite ci-dessus :