Le castillan et le portugais

 

L’Espagne et le castillan

Durant les XVIe et le XVIIe siècles, le castillan vit son Siècle d’Or précédé par d’importants évènements politiques qui vont être déterminants dans la configuration sociolinguistique de l’Espagne : l’union entre les couronnes de Castille et d’Aragon (1469), la fin de la Reconquête et la "découverte de l’Amérique" (1492). L’Espagne devient un grand Empire, accompagné par une "grande langue" : la langue castillane ou l’espagnol.

Concorde de Segovia, signée par Fernando de Aragón et Isabel de Castilla (Archivo General de Simancas).
Concorde de Segovia, signée par Fernando de Aragón et Isabel de Castilla (Archivo General de Simancas).

En effet, le castillan devient la langue de l’administration centrale de l’État avec l’inclusion de la Galice dans la Castille et la castillanisation de Navarra et d’Aragon. Son usage commence à s’intensifier aussi dans l’administration et dans la justice en Catalogne, à Valence et à Mallorca :

Así pues, en la mayor parte de las Españas ya unidas, el castellano o español disfrutó de un empleo mayoritario, sobre todo durante el s. XVII, en los discursos políticos, los debates, en la enseñanza no universitaria, en las casas de los linajes mas notorios, en las iglesias, en los conventos, en los ayuntamientos, en las audiencias y en las en las administraciones públicas (Moreno Fernández 2005 : 130)

Ceci dit, parmi les langues romanes de la Péninsule, celle qui a opposé une plus forte résistance a été sans aucun doute le catalan, qui avait maintenu jusqu’au XVIe siècle un niveau d’usage très élevé dans les domaines cités ainsi que dans le domaine universitaire et littéraire. Le catalan fut langue administrative en Catalogne jusqu’au XVIIIe siècle.

Quoi qu’il en soit, à la fin de cette période, la première révolution écolinguistique s’est faite : le castillan prend la place du latin comme langue de culture et le reste des langues d’Espagne deviennent minoritaires et leurs usages (fondamentalement écrits) se réduisent de plus en plus.

Il faut signaler aussi la naissance d’une nouvelle langue romane : le judéo-espagnol. À la fin du XVe siècle, environ 100.000 juifs quittèrent l’Espagne et s’installèrent dans le Nord de l’Afrique, en Grèce, Turquie et Palestine. Leur langue, de base castillane avec des éléments lexicaux de l’hébreu, sans contact avec le castillan péninsulaire, se différencie peu à peu de celui-ci.

Le portugais

Le portugais, déjà séparé du galicien par une frontière politique, devient la langue d’un Royaume qui désormais aura sa capitale à Lisbonne. La langue portugaise moderne aura comme base les variétés de l’axe Coimbra-Lisbonne, lieux de résidence du Roi et des institutions culturelles les plus importantes (comme l’Université). La séparation avec le galicien va ainsi se creuser également au niveau du standard :

E o eixo Lisboa-Coimbra passa a formar desde então o centro do dominio da lingua portuguesa. É pois a partir dessa região, antes moçárabe, que o português moderno vai constituirse, longe da Galicia e das províncias stentrionais em que deitava raízes. É daí partirão as inovaçoes destinadas a permanecer, é aí onde se situará a norma (Teyssier 2001: 31)

Le galicien sera perçu par les Portugais comme une variété rustique et archaïque (face au portugais urbain et moderne :

A personagem do galego constitui até ao séc. XIX uma das figuras tradicionais do teatro popular : trata-se do galego de Lisboa, que exercia as profissões de carregador e de aguadeiro. Caracteriza-se ela linguagem, cujas particularidades acentuam, até a caricatura, alguns traços próprios dos falares portugueses do extremo norte. E assim é que o galego, que nas origens da língua tanto contribuiu ara definir a norma literária, veio a encontrar-se no pólo oposto desta mesma norma. A rusticidade da Galícia opõe-se agora, à urbanidade de Lisboa (Teyssier 2001 : 34)

Carte historique et géographique des Royaumes d'Espagne et du Portugal  (1705 -1739)   BNE (Biblioteca digital)
Carte historique et géographique des Royaumes d'Espagne et du Portugal  (1705 -1739)  

BNE (Biblioteca digital)

Durant les XIVe et le XVe siècles le portugais, comme les autres langues des Royaumes voisins, s’émancipe par rapport au latin et s’instaure comme langue de culture, mais il doit aussi lutter contre un bilinguisme diglossique portugais-castillan qui s’installe à la cour lorsque plusieurs souverains portugais épousent des princesses espagnoles, qui s’intensifie durant les 60 ans de domination espagnole (1580-1640) et qui perdure jusqu’au XVIIIe siècle. L’espagnol, langue d’un grand empire, qui vit son Siècle d’Or, sera durant environ deux siècles et demi une deuxième langue de culture au Portugal. La plupart des écrivains utilisent les deux langues. Mais certains d’entre eux regrettent cette situation, c’est ainsi que le dit l’un des personnages de la Comedia Avlegrafia (ouvrage posthume de Jorge Ferreira de Vasconcelos (1619 : fol. 67r-v) :

Somos taõ inclinados à lingoa Castelhana, que nos descontenta a nossa, sendo dina de mayor estima, & não ha antre nòs quem perdoa a hũa Trova Portuguesa, que muytas vezes he de vantagem das castelhanas, que se tem aforado com nosco, & tomado posse do nosso ouvido que nenhũas lhe soão melhor: em tanto, que fica em tacha anichilarmos sempre o nosso, por estimarmos o alheio.

Ce n’est qu’à partir de 1640, lorsque Jean IV de Portugal, dit Jean le Restaurateur, devient roi, que cette tendance vers la castillanisation (et l’influence politique espagnole) s’arrête.