Le latin, langue plurielle
Nous essaierons dans cette partie de donner les premiers éléments de réponse à la question : pourquoi et comment une langue a-t-elle pu changer au point de donner naissance à plusieurs langues distinctes ?
Il faut d'abord rappeler ce principe fondamental de sociolinguistique qui est celui de la variation existante dans toutes les langues vivantes. Le latin n'était pas une exception : loin de l'idée que l'on a souvent d'une langue homogène, fixée à jamais, il faut considérer qu'à côté de la variété légitime, celle du latin littéraire établi au IIe siècle, devenu le modèle de la langue écrite durant des siècles, on trouvait le latin parlé. Celui-ci n’a jamais été une langue monolithique, il offrait de nombreuses variables dans tous les domaines. Il variait selon la géographie, selon les milieux sociaux, les niveaux culturels, etc. On pourrait donc le définir comme un diasystème, c’est-à-dire “un ensemble dialectal (géographique, mais aussi social) qui présente à la fois une armature stable commune et des variables diverses qui demeurent subordonnées à la structure d’ensemble, autrement dit qui ne la déboîtent pas (Banniard 1997: 23).
Les textes des plus grands écrivains de l’époque classique nous offrent de nombreux exemples de ces variations. On trouve par exemple chez Virgile un phénomène de renfoncement consistant en l’usage des prépositions : et nostro sequitur de uulnere sanguis, Énéide 12, 51.
L'application du concept de diasystème à la latinophonie classique permet de montrer une évolution qui n’est pas définie en termes négatifs (délabrement), mais positifs (dynamisme), car ces variables font partie du système. Or ces variables ont été traditionnellement érigées de façon artificielle en système autonome par les philologues ne prenant pas en compte les méthodes de la sociolinguistique et de la linguistique générale. Ceci a donné lieu à la création du concept de "latin vulgaire", qui a été longuement employé jusqu’à nos jours, parce qu’il est apparu éclairant et commode. Mais il s’agit d’un concept peu adapté à la réalité tant sociolinguistique que langagière. Rien ne prouve que l’histoire de la latinophonie ait été régie par des règles particulières et différentes de celles qui correspondent à la réalité langagière universelle.
Le latin parlé classique aurait été le premier stade de la latinité. Il s’étend de la fin des guerres puniques à la fin du règne de Commode : du IIe siècle avant J.C. jusqu’au IIe s. après J.C. Cette dénomination, durant cette période, ne comprend pas seulement le classicisme du latin parlé, mais toutes les formes de l’oralité latine de l’époque classique au sens large (apogée et fin de la République et Haut-Empire) de Plaute à Apulée. Ceci dit, le latin parlé classique pourrait être décrit tel qu’on le montre dans le tableau suivant (Banniard 1997 : 20-21) :
Cette perspective offre l’avantage de ne plus opposer une langue populaire quasiment autonome à la langue savante, cette opposition étant fortement réductrice et non respectueuse de la réalité langagière universelle. Dès qu’on a parlé latin et aussi longtemps qu’on l’a parlé, la parole latine s’inscrivait dans le cadre décrit.
La littérature latine a été bâtie sur le latin parlé classique, revu et corrigé par les créateurs littéraires (poètes lyriques, auteurs comiques, poètes épiques, historiens, orateurs, etc.). De Plaute à César, l’écriture latine entraîne un travail intense sur la langue parlée, puis écrite, grâce auquel une langue littéraire a été élaborée. Sa première caractéristique est de participer à une norme langagière. Celle-ci répond aux critères de romanitas (“la romanité”) ou de latinitas (“la latinité”), celle-ci comprenant, pour sa part, les exigences de l’urbanitas (“citadinité”), de l’elegantia (“distinction”) et de la proprietas (“adaptation”). La langue littéraire implique une distanciation plus ou moins considérable de la langue parlée et de ses variations multiples. Cela signifie qu’elle est le résultat de la réélaboration grammaticale et stylistique du parler quotidien. La seule limite de forme imposée à la créativité des auteurs n’est que le respect du decorum : garder l’adaptation au sujet, au genre, aux circonstances et au public. Il faut aussi conserver l’exigence de l’intelligibilité quand il s’agit de matières en rapport étroit avec la communication : histoire, philosophie, et surtout art oratoire. Cette modulation langagière a été bien entendu celle d’un cercle social restreint, celui des boni, et de cette façon elle est restée libre des exigences d’une communication plus large.
Mais cette situation change avec l’arrivée du Christianisme, puisqu’on ne sent plus la nécessité de limiter de façon arbitraire l’extension du message chrétien. Une révolution langagière se produit dont les effets seront clairs en Occident latin à partir du IIIe siècle, ainsi :
1) la langue écrite des premiers monuments chrétiens sera divergente de la tradition littéraire romaine, étant donné que cette littérature chrétienne, en général fruit de la traduction, provient la plupart de temps du grec de la koïné.
2) les locuteurs/auditeurs qui reçoivent l’enseignement chrétien n’appartiennent pas à l’élite normée et disciplinée des latinophones (Banniard 1997 : 25). En vertu de cela, on assiste, durant la deuxième moitié du IVe siècle, à une rencontre conflictuelle entre la culture et la langue romaines et la culture et la langue de la religion nouvelle. C’est ainsi que la langue de l’Écriture a fini par conquérir une place d’excellence à côté de la langue de Virgile. D’un autre côté, l’usus (“l’habitude”) de l’élite qui modelait la communication a cédé devant les exigences de l’instruction massive. La langue de la nouvelle religion accède ainsi à la dignité de la latinophonie : elle sera employée pour l’instruction et en conséquence sera remodelée aux IIIe et IVe siècles.
C’est ainsi que l’irruption du christianisme et l’expansion des missions chrétiennes ont provoqué un bouleversement profond de la latinité. La communication orale contrôlée par les intellectuels se déploie désormais sur tous les niveaux de la langue. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’interférences entre tous les niveaux de l’oralité latine. Le temps des compromis entre le latin des païens et le latin des chrétiens est arrivé, tout comme le compromis entre l’oralité soutenue et la parole relâchée, entres les accents urbains et les accents ruraux, entre les messages des litterati “lettrés” et les réactions des illiteratti “analphabètes”, et enfin, entre le passé stable et le présent mobile.
C’est ainsi que naît la latinité tardive et aussi le latin parlé tardif, dont la phase initiale, latin parlé tardif 1, s’étend du IIIe au Ve siècle. Ce latin parlé d’un bout à l’autre de l’Empire en Occident varie énormément. Le latin parlé tardif permettra une communication orale rapide entre tous les locuteurs latinophones (qui étaient largement la majorité).
Mais la conversion de la culture antique aux valeurs du Christianisme, ainsi que l’acceptation progressive d’une partie de l’éducation antique par les intellectuels chrétiens ne se sont pas produites sans dissensions. Les maîtres chrétiens de la latinité tardive ont accepté, non sans peine, l’élargissement de leur oralité. Autrement dit, les prédicateurs du VIe siècle, lettrés latinophones, ont dû adresser leurs sermons à des fidèles latinophones illettrés. Cela a supposé l’élaboration de codes communs qu’on a appelés sermo humilis (“style terre-à-terre”), aussi connu comme cotidianus, familiaris... (Codoñer 2001-2002). Saint Augustin a insisté sur l’importance de privilégier l’intelligibilité sur la grammaticalité. Entre la langue savante, héritée, grammaticalisée, stylisée, restreinte, et la parole innovante, restructurée, polymorphe, expansive, une nébuleuse communicationnelle est venue s’installer dont l’efficacité perdurera au-delà de l’Empire (Banniard 1997 : 25-27).
Modifié sous l’Empire (du IIIe siècle au Ve siècle), le latin tardif évolue de nouveau aux VIe, VIIe et VIIIe siècles. Dans tous les contextes où l’innovation sociale implique un renouvellement, la langue écrite change lentement. Les textes de loi (lois franques, lois gothiques, lois lombardes…) sont souvent les plus fidèles témoins de la métamorphose. Tous les indices culturels et langagiers indiquent l’existence d’une évolution profonde qui est en cours et qui fait sortir le latin de son propre diasystème : le latin parlé tardif des VIe-VIIe siècles sera ainsi appelé : latin parlé tardif 2 dans lequel on peut également observer une régionalisation : latin parlé tardif “mérovingien” pour la Gaule du Nord, “gothique” pour la Gaule du Sud, “wisigothique” pour l’Espagne ; “lombard” pour l’Italie… sans oublier le latin tardif d’Afrique, interrompu par la conquête arabe (Banniard 1997 : 27- 29).
Il faut remarquer que l’adoption à grande échelle de ces variables s’est faite à travers une étape intermédiaire, entre autres raisons parce que la communication ne doit pas cesser d’être établie de génération en génération. Ce latin parlé tardif 2, très évolutif, est très proche à ses débuts du latin parlé tardif 1 impérial, et, à sa fin, du protoroman. En somme, la transition langagière décisive semble se produire pendant cent ans, de 650 à 750. Pendant ces années, la métamorphose de la langue s’accélère constamment jusqu’à aboutir à la fois à un nouveau type de langue : le roman, et à des nouveaux systèmes qui le représenteront : les langues romanes.
Ce fut entre le Ve et IXe siècle que le latin parlé tardif s’est métamorphosé en une nouvelle entité langagière : le roman parlé archaïque (ou protoroman). La sociolinguistique rétrospective est arrivée aux conclusions suivantes :
1) Le latin a continué à être la langue de communication générale en Occident jusqu’à une période plus tardive qu’on ne l’aurait pensé avant les années 60.
2) La langue parlée populaire s’est moins vite éloignée du latin.
3) L’usage de l’écrit est demeuré très général.
4) L’accès presque direct au latin a été possible pour l’élite des laïcs même dans le haut Moyen Âge.
Par ailleurs, il faudrait y ajouter que rien ne prouve non plus que la métamorphose du latin parlé tardif en protoroman soit le résultat d’une révolution réservée au seul latin parlé par les illettrés. Il faudra donc remplacer cette idée par les résultats d’analyses interactives plus complexes : la langue parlée par les élites participait, elle aussi, à l’innovation et à l’invention. La langue parlée par les illettrés était elle aussi capable d’un conservatisme protecteur et d’une inertie imitatrice. Ceci dit, on peut conclure que, plutôt que de considérer les langues romanes comme une forme issue d’une sorte d’écroulement incontrôlable du latin, il serait plus exact de les décrire comme le résultat d’une longue genèse dans laquelle l’invention et la création ont joué un rôle important. En définitive, il ne suffisait pas, par exemple, de mal parler latin pour inventer l’ancien français (ou toute autre langue romane). Les différentes études publiées confirment ces points de vue. On comprend ainsi pourquoi, pour expliquer des mots français tels que “tête”, “foie”, “parler”, il est inutile d’aller chercher du côté du latin classique “caput”, “iecur”, “loqui”. La prise en compte de formes populaires transmises dans des textes non (ou peu) littéraires ou la comparaison avec des formes existant dans d’autres langues romanes peuvent nous aider : ainsi, le français “foie”, l’italien “fégato” et l’espagnol “hígado” nous renvoient à un terme culinaire : "ficatum" "foie d’un animal farci de figues…" (Väänänen 1985 : 33).
En ce qui concerne la fin de la communication orale latine des locuteurs de niveau culturel supérieur vers des auditeurs de niveau culturel inférieur et plus précisément la transmission d’un message (religieux) en latin d’un style simple prononcé sans affectation (sermo humilis ou rusticus) et adressé à un public d’illettrés (illiterati), on peut proposer les dates suivantes (cf. Banniard 1997 : 32-38) :
France d’Oïl : 750-800
France d’Oc : 800-850
Espagne mozarabe : 850-900
Italie du Nord et du Centre : 900-950
Italie du Sud: ?
(Afrique: 750-800 ?)
J.M. Klinkenberg cite deux types de sources de connaissance de ce latin "vulgaire" : les sources "directes" et les sources "indirectes" :
- Les sources directes sont constituées par des documents écrits en latin durant la durée de l’Empire romain. Mais s’agissant de documents (forcément) écrits, il ne faut pas oublier qu’ils sont susceptibles d’avoir été influencés par la variété classique. On trouve ainsi des traces de latin parlé dans des documents littéraires, lorsque certains auteurs mettent en scène les particularités sociolectales de certains de leurs personnages. C’est le cas de Pétrone, dans le passage du Satiricon connu sous le titre de Cena Trimalchionis :
L’utilisation de formes populaires peut avoir un objectif pratique : se faire comprendre par les récepteurs (cf. les auteurs chrétiens). Mais le recours au latin parlé peut aussi être involontaire lorsque la forme légitime du latin classique n’est pas complétement maîtrisée : on peut l’observer dans le célèbre traité de Vitruve De Architectura (Ier siècle P.C.N) dans le récit de voyage en Terre Sainte Peregrinatio Silviae Aetheriae, rédigé par une femme très probablement originaire de la péninsule ibérique ; ou encore dans le traité vétérinaire connu sous le titre de Mulomedicina chironis (ces deux derniers textes sont du IVe siècle après J.C.).
Les inscriptions latines peuvent aussi nous offrir des renseignements importants. À commencer par celles de Pompéi, ville détruite par une éruption volcanique en 79 après J.C. et momifiée sous les cendres, mais aussi celles des “defixionum tabellae”, tablettes portant des formules de malédiction.
Très différentes sont ce que Klinkenberg appelle les indications épilinguistiques : instructions normatives des pédagogues, des vulgarisateurs ou des puristes de la latinité qui rendent compte involontairement des pratiques réelles des usagers. C'est le cas de l’Appendix Probi, annexe à la grammaire de Probus (IIe-IVe siècles), qui fournit une liste de 227 “Dites – Ne dites pas” ;
mensa non mesa; numquam non numqua; vetulus non veclus; pauper mulier non paupera mulier; auris non oricla.
Le chapitre De barbarismis et metaplasmis du grammarien Consentius (Ve siècle) relève certains usages “incorrects”, nous montrant ainsi qu’ils sont répandus dans toutes les couches de la société. Par exemple, l’emploi de dentis comme nominatif (à la place de dens) est stigmatisé, tout comme la simplification vilam (pour villam). D’autres documents tardifs sont encore d’un grand intérêt, comme le glossaire de Reichenau et les gloses de Cassel. Le premier document, réalisé en France, fournit un équivalent populaire pour les mots de la Vulgate qui risquaient d’être mal compris. Le second fournit une liste de mots (et même de phrases) avec leur équivalent en latin ou en langue germanique.
Gloses de Reichenau: saniore, meliore, plus sano; rerum, causarum; olim, antea; optimos, meliores; pulchra, bella; binas, duas et duas; semel, una vice; cuncti, omnes; isset, ambulasset; flare, suflare; si vis, si voles; ingredi, intrare; Gallia, Frantia...
Gloses de Cassel: uncla, cavallus, casu (chez), stabulu, Martel, puticla...
- Les sources indirectes sont d'interprétation plus difficile. Elles ne procèdent pas du latin mais des langues romanes ou non romanes qui ont été en contact avec lui : on doit alors procéder à la "reconstruction" basée sur la comparaison de formes existant dans des langues anciennes et/ou modernes. Les formes ainsi "reconstruites" n'ont jamais été attestées, elles sont le fruit d'hypothèses qui peuvent éventuellement, avec l'apparition de nouvelles sources directes, être confirmées... ou infirmées... Ainsi, le fr. arriver, l'it. arrivare, l'occ. et le cat. arribar ne peuvent pas être rattachés à un mot latin attesté, et donc on doit supposer l'existence d'une forme *arripare (ad+ripa 'rive). L'astérisque qui précède (conventionnellement) la forme indique qu'il s'agit d'une reconstruction.
Il faut supposer une relative homogénéité du latin familier, si l'on prend en compte le nombre important de phénomènes phonétiques et phonologiques, morphologiques et lexicaux qui apparaissent dans presque toutes les langues romanes. Cela dit, il faut supposer, au moins à l'époque tardive un début de régionalisation qui annonçait la future différenciation territoriale des langues romanes (Glessgen 2007: 313). On a parfois signalé le poids des substrats, c'est-à-dire, des langues prélatines, qui auraient préparé la différenciation des territoires romans qui s'est produite après la chute de l'Empire romain. Cependant, l'importance de ces substrats linguistiques reste une hypothèse, impossible à prouver actuellement (Glessgen 2007 : 312). Klinkenberg (1994 : 130-133) signale plusieurs autres facteurs de diversification d'ordre social et temporel :
- Parmi les facteurs sociaux se trouvent les modalités démographiques et sociales de la latinisation (déplacement de populations latines ou latinisées, comme par exemple dans la Dacia ; conversion des populations au latin, comme par exemple la Gaule ; ou plus fréquemment une certaine combinaison de ces deux variables). Il paraît évident que la colonisation a dû mobiliser des milieux sociaux très différents et qu'en conséquence un peuplement urbain aurait favorisé la diffusion d'une variété plus prestigieuse de latin que ne l'aurait provoquée une colonisation rurale (propagation de variétés moins normées). La fluidité des relations entre Rome et la société provinciale est aussi à prendre en compte car les régions de l'Empire qui vivaient de manière relativement autonome, à l'écart des innovations du centre, étaient plus susceptibles de développer des originalités propres. Finalement, la diffusion de la religion chrétienne aura un double effet : d'un côté de renforcer l'idée d'unité sociolinguistique et culturelle, et d'un autre côté d'accentuer les différences régionales lorsque les prédicateurs faisaient le choix de s'adapter aux modalités locales pour mieux se faire comprendre.
- Les facteurs d'ordre temporel sont à mettre en rapport avec la date de la romanisation. Il ne faut pas oublier que les conquêtes en dehors de la péninsule italienne s'étalent tout au long de trois siècles (de 214 av. J.C. (Sicile) à 107 ap. J.C. (Dacia)) : dans une zone très tôt romanisée vont subsister des traits plus archaïques que dans les régions tard venues à la latinité. LIEN VERS CARTE
Mais sur la base de cette différenciation territoriale, il est clair que c'est surtout la destruction de l’Empire romain (qui entraîne la désintégration des infrastructures (chemins, administration, écoles, juridictions) et provoque la rupture de la cohésion géographique) qui accentue ces forces centrifuges.
Les superstrats ont pu jouer un rôle plus ou moins important sans être la cause principale de la différenciation. Parmi eux les superstrats germanique et arabe méritent une attention particulière :
Les invasions germaniques ont eu une influence importante dans le devenir des peuples romanisés mais leurs langues n'ont pas vraiment transformé les variétés romanes qui étaient en train de se former. Certains peuples germaniques ont pu constituer des royaumes (les Lombards en Italie, les Francs dans la Gaule septentrionale, les Wisigoths dans la Gaule méridionale...) mais si l'on excepte certaines zones du Nord de la Gaule, les germanophones n'ont pas supplanté les latinophones/romanophones. Cela dit, les contacts de populations et de langues ont laissé de nombreux emprunts, notamment dans le français et dans l'italien, beaucoup moins en espagnol. L'anthroponymie a été fortement marquée par la présence germanique : "au Xe siècle jusqu'à 90% des noms de personne sur certaines parties du territoire de la Gaule, de l'Ibérie ou de l'Italie sont d'origine germanique", ce qui s'explique par la "volonté d'imiter les noms portés par le groupe dirigeant" (Glessgen 2007: 321).
Les invasions arabo-berbères commencent en 711 anéantissant en quelques années le Royaume Wisigoth dans la Péninsule ibérique : les souverains chrétiens trouvent refuge dans les montagnes de la partie extrême nord, d'où partira la Reconquête. Les influences de ces invasions ont été très importantes car, au-delà des épisodes guerriers (conquête et reconquête des territoires), elles ont permis des échanges culturels et linguistiques durant plusieurs siècles. D'un point de vue linguistique l'arabe joua dans la Péninsule ibérique le rôle d'un "superstrat" laissant des traces très importantes dans le lexique et dans la toponymie (le berbère ne laissa pas de traces). Nous verrons dans le module 3 que la Reconquête a été déterminante dans la re-configuration sociolinguistique du territoire ibérique.
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