La poésie religieuse
L'Alba bilingue provenant probablement de l’abbaye de Fleury (aujourd’hui Saint-Benoît-sur-Loire) est un court poème religieux destiné au chant liturgique, composé dans la seconde moitié du Xe siècle. Il a été écrit dans un espace resté libre d’un manuscrit qui contient par ailleurs des poèmes et des notes juridiques plus anciens.
Le poème se répartit en 7 lignes surmontées de neumes (le neume est un signe graphique (du grec neuma, signe) que l'on plaçait au-dessus des syllabes durant le Moyen Âge (VIIIe-XIIe s.) dans les textes destinés à être chantés).
Il est formé de trois strophes en latin qui se terminent toutes par un refrain (ou ritornello) en langue romane. Les interprétations du texte peuvent varier “selon les essais de reconstitution du texte et la coupe syntaxique proposée”.
Voici l’interprétation de P. Zumthor (1984) :
I
Phebi claro nondum orto iubare,
fert aurora lumen terris tenue ;
spiculator pigris clamât : « Surgite ! »
Lalba par umet mar atra sol
Poypas abigil miraclar tenebras.II
En incautos ostium insidie
torpentesque gliscunt interficere,
quos suadet preco, clamât surgere.
Lalba part umet mar atra sol
Poy pas abigil miraclar tenebras.III
Ab Arcturo disgregatur Aquilo,
poli suos condunt astra radios,
Orienti tenditur Septemtrio.
Lalba part umet mar atra sol
Poy pas abigil...
Les trois premiers vers de chaque strophe sont écrits en latin et ne présentent pas de problèmes d’interprétation (trad. Cf. Zumthor : I. L'éclat du soleil pas encore levé, l'aurore apporte à la terre une faible lumière : le veilleur crie aux paresseux : Levez-vous ! II. Voici (que) les imprudents, les ruses des ennemis brûlent de les faire périr, et les engourdis que le héraut exhorte, (leur) crie de se lever. III. L'étoile polaire se sépare d'Arcturus, les astres du ciel cachent leurs rayons, vers l'orient se dirige la Grande Ourse.)
En revanche, le sens du refrain ne fait pas l’unanimité et les interprétations proposées sont diverses, à commencer par l’identification de la langue dans laquelle ces deux vers sont écrits qui serait pour certains de l’occitan archaïque, pour d’autres du réto-roman ou encore du latin accidentellement corrompu… Quoiqu’il en soit l’auteur semble avoir cherché à faire jouer son bilinguisme (cf. les jarchas). Reste encore la question de l’interprétation de ces deux vers, P. Zumthor répertorie dix-neuf interprétations différentes… et autant de traductions
Le texte au complet (strophes latines et refrain) est un chant liturgique, une "chanson d'aube" à signification religieuse qui décrit le phénomène astrologique du lever du jour :
L'auteur était, à l'évidence, un lettré humaniste, ce qui, au Xe siècle, signifie très probablement un moine de quelque grande abbaye, possédant une assez riche bibliothèque. On peut admettre la suggestion de Becker : cette aube est une sorte de chant de méditation pour la fin de la nuit, lié thématiquement à la pratique des hymnes de laudes, mais à usage privé, étranger à la liturgie. Cela ne contredit pas, au contraire, l'hypothèse avancée par Lazzerini, selon qui notre aube serait un chant du temps pascal — temps que le langage ecclésiastique désignait parfois du terme albae, in albis, locution attestée çà et là au singulier. L'alba du premier vers du refrain serait ainsi une figure allégorique (Zumthor 1984 : 190).
Consulter le document numérisé :
Consulter le feuillet 50v. du codex Reg. lat. 1462 de la Biblioteca apostolica vaticana
[Alba Phebi claro] [texte manuscrit], Occitanica - Mediatèca Enciclopedica Occitana / Médiathèque encyclopédique occitane
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