Créolisation, créoles

Créolisation, créoles

Les créoles (le mot est d’origine espagnole : "criollo"; il a désigné primitivement les individus, acteurs, aussi bien dominants que dominés, sur les territoires colonisés) sont donc des langues vernaculaires, c’est-à-dire des langues maternelles, premières, de communautés plus ou moins importantes. Salikoko S. Mufwene souligne que "les événements historiques qui ont contribué à l'émergence des ceéoles se situent dans le contexte de la globalisation économique mondiale dès le XVe siècle". Par "globalisation", il "[entend] les réseaux de négoces et de trafics humains qui, depuis la fin du Moyen Âge, connectent l'Europe occidentale au reste du monde" (Mufwene 2014 : 33).

Nous suivons l'hypothèse sociolinguistique (fondée sur des recherches approfondies concernant l'île de la Réunion, anciennement Îîle Bourbon) de Robert Chaudenson à propos de la genèse des créoles. Elle est fondée sur une approche historique, économique et démographique du cas réunionnais (Chaudenson 1995). Elle repose sur une chronologie à deux phases du développement de la colonisation.

Dans une première phase (qu’il appelle "société “d’habitation”") qui correspond à l’installation, la seule langue de communication possible est le français car les esclaves  ont des origines ethnolinguistiques hétérogènes. Ces mêmes esclaves pratiquent ainsi inévitablement diverses variétés de français (approximatives, bien entendu). Cette "société d’habitation" se développe et s’oriente vers une nouvelle étape économique plus importante qui va nécessiter le recours à de nouveaux esclaves, en nombre très important.

C’est la deuxième phase : la "société de plantation", qui modifie en profondeur les données de la situation sociolinguistique :

Une conséquence directe de l’arrivée massive d’esclaves « bossales » [récemment débarqués] est la chute du pourcentage d’esclaves créoles dans la population servile […]. En revanche, si la proportion d’esclaves créoles décroît, leur rôle social grandit. Dans la société de plantation, ils deviennent désormais les agents essentiels de la socialisation et de l’acculturation des nombreux bossales (Chaudenson 1995 : 69).

Ainsi,

les esclaves créoles, affectés aux tâches spécialisées ou investis de fonctions d’encadrement, deviennent les modèles sociaux et les instructeurs des esclaves nouveaux, massivement affectés aux durs travaux des champs. D’où le fait, décisif pour l’évolution de la situation sociolinguistique et la créolisation que, puisque dans la seconde phase, il n’y a plus de contact entre les blancs et la masse des bossales, ces derniers vont donc avoir comme langue cible non plus le français, mais les variétés approximatives dont usent les esclaves créoles chargés de leur socialisation et de leur encadrement : c’est probablement là que s’engage le processus d’autonomisation par rapport au français.

C’est ainsi qu’apparaissent des

systèmes qui, même s’ils empruntent […] l’essentiel de leurs matériaux linguistiques aux langues européennes [au français pour ce qui nous concerne], vont les restructurer au point de constituer des systèmes autonomes que sont les créoles (Chaudenson 1995 :  64‑67. Voir également Hazaël-Massieux,  2011, Ehrhart 2012).

Et il convient d'insister sur le fait que "la créolisation est un processus graduel" (Véronique 2014 : 85).

Voir la liste des créoles à base française dans le monde dans Chaudenson 1995 :  64‑67 (voir également Hazaël-Massieux 2011).

 

En plus des créoles à base française, la créolisation a produit d'autres créoles à base romane (et pas seilement), comme les créoles à base portugaise et espagnole, en Amérique et en Afrique. (voir par exemple Chaudenson 1992 : 18).